tell me more, tell me more.
« Charlie ! Repose-moi immédiatement cette fourchette ! » J'avais onze ans, on venait de se mettre à table, et j'étais affamée, comme toujours. Mais comme toujours, il fallait attendre que nous soyons tous à table, que l'on se soit tous donné la main, et que l'on ait récite le bénédicité. Une belle connerie selon moi, si vous voulez mon avis. Je respecte totalement les personnes si croyantes, quelles que soient les croyances. Mais avouons-le, y'a rien de pire que le bénédicité. T'es là, la bave au coin des lèvres, à mater une bouffe qui te regarde d'un air de dire
"t'as pas l'air con là, hein."Encore une fois, j'avais fait l'erreur d'attraper mes couverts au mauvais moment, et encore une fois, je m'étais faite réprimander. J'attendis que ma mère nous ait tourné le dos pour lui tirer la langue. Je n'étais pas aussi parfaite que Teoxanne, ma soeur ainée, et comme toujours, elle aimait bien me le rappeler.
« Tiens Charlie, et si tu nous récitais la prière ? » Je levais les yeux au ciel, avant qu'un sourire en coin n'étire mes lèvres. Non, je n'avais absolument aucune idée derrière la tête, c'est totalement faux. J'attrapais la main de ma soeur et de mon père, avant de baisser les yeux vers mon assiette.
« Remercions Dieu pour ce repas qu'on ne peut même pas manger, vu qu'on passe notre temps à le remercier alors qu'il s'en tape complètement. » Ma mère me regardait bouche bée, tandis que mon père me dévisageait. Je ne sais pas pourquoi, mais j'avais la vague impression que j'allais m'en prendre une.
Assise sur le canapé, je repliais mes jambes sous moi et posais la tête sur l'épaule de Kenaël. Aussitôt, il passa un bras autour de mes épaules et déposa un baiser sur le sommet de mon front. On se connaissait depuis mon arrivée à Seattle, durant ma deuxième année de collège, et nous étions rapidement devenus amis, avant de devenir plus que ça au lycée. Mes parents avaient jugés, à ce moment-là, qu'il serait bon pour nous de changer d'air. En réalité, ils avaient juste de plus en plus de mal à se supporter, et étaient proches du divorce, chose impensable pour eux. Eh oui, le divorce, c'est le mal. Du coup, nous avions quittés notre vie à Bellevue pour arriver à Seattle, en espérant que ce changement de vie sauve la famille. Je l'avais franchement mal pris au début, mais sans ça, je n'aurais jamais connu Kenaël. Aujourd'hui, je les remerciais donc d'avoir pris cette décision.
Nous n'étions pas vraiment faits pour s'entendre selon l'avis général, mais cela faisait partie des choses auxquelles nous n'accordions pas vraiment d'importance. Il faisait partie de ces gars qui jouaient au foot et avaient une réputation de tombeur, alors que j'étais plutôt du genre à potasser mes cours et à me taper des petits délires gentils avec mes quelques amies. Je me souvenais encore parfaitement de notre première rencontre. N'ayant pas la moyenne en espagnol, il m'avait demandé de l'aider, et nous nous donnions rendez-vous dans une salle de perm pour bosser, dès qu'on avait une heure de libre. Et petit à petit, j'avais appris à connaitre le vrai Kenaël, le gars plein de rêves et à l'humour incroyablement décalé.
« Et si tu me disais ce qu'il ne va pas ma chachatte ? » Je ne répondis pas, préférant jouer avec la couture de son t-shirt tout en m'absorbant dans ce programme débile diffusé à la télé.
« Charlie, je suis sérieux. Dis-moi ce qu'il t'arrive. » Je n'étais pas vraiment sûre de vouloir le lui dire. J'avais peur de sa réaction, peur qu'il ne m'abandonne. Nous venions tout juste d'emménager ensemble, pour célébrer notre première année à l'université, je l'aimais réellement, et je n'avais pas envie que
ça ne vienne tout gâcher. Je me mordis la lèvre inférieure. Je n'avais pas le choix, il finirait forcément par le savoir, et je préférais que ce soit moi qui le lui annonce. J'inspirais profondément, comme pour me donner du courage, et tentais d'assurer ma voix.
« Je ... Kenaël, faut que je te dise un truc. » Il se tourna vers moi, et je pus facilement apercevoir l'inquiétude dans son regard. Je le comprenais, mais je détestais en être la cause. Depuis que j'avais appris ce que je m'apprêtais à lui dire, je m'étais quelque peu éloignée de lui, préférant me préparer au fait qu'il puisse décider de m'abandonner.
« Avant, je veux juste te rappeler que je t'aime. » « Charlie, tu me fais peur là. » Je reportais mon attention sur mes doigts et me mordis la lèvre, avant de relever la tête et de croiser son regard. J'étais clairement nerveuse, et la seule façon de m'en débarrasser était de lui dire.
« Je ... Je suis enceinte. » Ma voix n'était qu'un murmure, et pendant un instant, je crus réellement qu'il ne m'avait pas entendue. Mais en voyant cette petite lueur dans son regard, je sus qu'il m'avait parfaitement comprise.
« Ça fait combien de temps que tu le sais ? » « Une semaine et demi. Mais j'en suis à deux mois de grossesse apparemment. » « Quoi ? Mais pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ? » A cet instant, je compris que j'avais eu tort de penser qu'il aurait pu ne plus vouloir de moi. Bien au contraire, je voyais dans ses yeux qu'il semblait heureux de cette nouvelle.
« J'avais peur. Peur que tu ne veuilles plus de moi. Peur que tu ne me laisses tomber. » Il posa ses lèvres sur les miennes et mêla ses doigts aux miens.
« Je t'aime Charlie, et je ne compte pas te laisser tomber. » Kenaël se pencha sur mon ventre et un sourire étira mes lèvres.
« Et toi non plus je ne vais pas te laisser tomber. » De nouveau, il vint poser ses lèvres sur les miennes, sa main se baladant sur ma peau. Oui, j'avais eu tort de penser qu'il m'aurait laissée tomber, et je me sentais mal qu'une telle idée m'ait effleurée l'esprit.
Je me blottis dans ses bras, allant déposer un baiser dans son cou. Il brisa rapidement le silence, et nous commençâmes à imaginer notre vie future, en tant que famille. Nous savions que ça allait être difficile, mais nous y arriverions. Ensemble.
« Kenaël, on est rentrées ! » Je venais de passer la porte de notre appartement, avec la poussette de Maxyne. Cela faisait maintenant quatre mois que notre petit ange était arrivée parmi nous. Nous avions eu quelques ratés au début, comme tout parents, et nous avions également eu assez de mal à concilier vie de famille et vie universitaire. Mais heureusement, les parents de Kenaël avaient accepté la nouvelle et décidé de nous aider. Contrairement aux miens, qui ne m'avaient laissé qu'une petite trentaine de minutes pour vider les quelques affaires qui restaient encore dans ma chambre, avant de définitivement me fermer leur porte. Étrangement, ça ne m'avait pas étonné. Je sentais que ça arriverait un jour ou l'autre, pour une raison quelconque. Mais malgré tout, ça m'avait quelque peu ébranlé. Heureusement, Kenaël avait été présent pour moi.
« Kenaël, t'es où ? » Je pris Maxyne dans mes bras, la calant contre ma poitrine, et commençait à faire le tour de l'appartement. Je commençais par la chambre, puis la salle de bain, avant de finir par la cuisine. Il n'était nulle part. Une tâche colorée sur la table attira mon attention. Un post-it. Couvert d'une écriture que je connaissais bien.
Mon ange, je suis désolé, mais je n'y arriverais pas.
Sache que je t'aime, ma Charlie, mon amour, la femme de ma vie.
Kenaël.Je relus le petit mot, une fois, puis deux, peut-être une dizaine. Je ne voulais pas y croire. Il m'avait abandonnée. Il
nousavait abandonnées. Il était partie en ne laissant qu'un mot écrit à la va-vite, sur un post-it. Si Maxyne n'avait pas été dans mes bras, je me serais sans doute effondrée. Au lieu de quoi, je la serrais plus fort contre mon sein, m'y accrochant comme à une bouée de sauvetage.