« Papa » les pleurs qui n'ont aucune incidence, les valises près de l'entrée, la sensation d'étouffer. Papa se tire, c'est tout,qu'elle pense, Amelia, les sillons pérennes sur ses joues rosies. Papa ne reviendra pas qu'elle pense. Le départ de sa figure paternelle n'est rien, rien comparé aux merdes qui lui arriveront plus tard. Elle se dit : papa me brise le cœur. A côté de ce qu'elle connaîtra adulte, un grain de sable dans l'océan. Infime. Il se retourne, sur son visage l'expression navrée , sortie pour les occasions ( deuil, coup de crasse). Samuel, papa, il s'en fout. «  Ma chérie, ainsi va la vie ». Ainsi.va.la.vie, stupide. Les paroles qui ont l'effet d'une blague, sur son cœur meurtri. Elle éclate de rire, son rire se brise comme un éclat de verre, par terre, sur les murs. Droit vers l'horizon. Elle a mal, la gamine de 8 ans, elle a le vague à l'âme, elle se débat contre un agresseur invisible. Invincible. L'abandon. Le sentiment. L'acte. Papa, tu pars où ? «  Je reviens. Je ne vais nulle part ». Il ne reviendra que lors de grandes occasions : des fêtes, quoi. Des journées. Vingt-quatre maudites heures, insuffisantes. Au début. Après, Samuel, son papa, il comprendra que Heda, la maman, c'est un peu l'unique chieuse de sa vie. Il comprendra qu'il a fait une erreur. Il ne l'expliquera jamais seulement, il passera son temps à tournoyer. Graviter. Autour du cocon dans lequel elles se seront enfermées, maman et Amelia. Heda et sa fillette. Samuel, dehors. Là. Présent. Absent. Instable. Non, Amelia ne le comprendra pas. «  D'accord ». C'est tout. Même si on ne lui a pas demandé son avis. Compte pour du beurre. Rien. Même si elle n'est pas, pas du tout d'accord. Même si.


« Et la danse ? » La danse, rien. La danse comme une lubie, un rêve parti en fumée, adios. Amelia inspire, expire tente de ne pas fixer le visage de sa mère, pas croiser son regard moralisateur. Tout passe dans un regard. Samuel se tient à ses côtés. Papa. Elle a arrêté de l'appeler Papa. Pour le punir. Le punir d'avoir préféré fuir. « La danse, c'est foutu. Je ne peux rien y faire. Ainsi va la vie, n'est-ce pas ? » et les paroles qu'elle répète, toujours, à chaque fois. Prends-les toi dans les dents elle songe, un sourire flottant sur ses lèvres. Samuel, elle le regarde, lui. Ses yeux lui hurlent les mots défendus. Pourquoi ? Pourquoi tu viens jouer les modèles ? A quoi ça sert ? - A rien. «  Maintenant, excusez-moi, j'ai une séance de kiné ». La rééducation de son genou se passe bien mieux que sa rééducation à elle. Samuel qui revient, petit à petit dans son quotidien pour faire planer l'ombre d'un père. Elle aimerait lui dire : retourne d'où tu viens. Quand on perd mon estime, c'est définitif. Mais, non. Non, quelque part, là, ça bat, ça cogne, cogne trop fort. Elle s'éloigne, la blonde dryade, elle pince les lèvres, affiche une mine sérieuse. Elle prie les larmes de rester planquées. Planquez-vous. «  Cette discussion n'est pas finie, Melia ». Cette discussion n'a même pas commencé. On lui impose toujours, elle, toujours, dit non. Même si. Même si parfois, elle aimerait dire oui. Même si.


« Ce que tu ne sembles pas comprendre mais j'imagine que c'est dû à l'inexistence de ton cerveau,  c'est que mes parents s'aiment toujours. Qu'ils passent leur temps à se battre parce qu'ils n'ont rien trouvé de mieux pour se prouver qu'ils s'aiment. Ton père finira par le remarquer. Ça va sûrement être moche. Moi, c'est Amelia mais, j'imagine que tu as dû t'en rendre compte. Enchantée. A dieu. De toute façon, c'est sûrement la dernière fois qu'on se parle. Salut » - elle n'a pas que ça à faire, rencontrer les mecs que sa mère fréquente, ni même rencontrer leurs rejetons : ça va deux secondes. Sa vie est déjà suffisamment pourrie pour ne pas en rajouter une couche. Et s'il faut qu'elle se comporte comme la dernière des salopes, elle le fera. Elle attrape une coupe de champagne, bon, d'accord : c'est quand même les fiançailles de sa mère. Toutefois, ça ne veut strictement rien dire. Samuel & Heda, ils sont tout simplement faits pour être ensemble et puis, c'est tout. Ils finiront par s'en rendre compte. Sinon, pas grave, elle le fait pour eux. « Attends, deux secondes, la blonde ». S'adresse-t-on, sérieusement, à elle ? «  J'en ai strictement rien à cirer. Ta mère, mon père, le monde entier. Ils sont adultes, tu saisis ou ? Ils savent ce qu'ils font et , tu ferais bien d'en faire autant. D'ailleurs, connaissant Heda, j'imagine que c'est pas d'elle que tu tiens toute cette grossièreté. La politesse veut qu'on commence par dire bonjour ». Elle avale sa salive, de travers ( oui, sinon, ce ne serait clairement pas marrant), manque de s'étrangler. «  Ne t'inquiète pas, mon père m'a très bien inculquer la politesse et la vie, quant à elle, s'est chargée de m'apprendre sur qui l'utiliser ». 1-1, enfoiré de première, qu'elle se dit, décidant de fuir vers le pôle opposé. Et évidemment, les fiançailles donneront ( bien trop vite à son goût ) lieu à un mariage en grande pompe. Le mariage lui donnera un frère et une sœur par alliance et surtout, deux fois plus de raisons de détester le couple que forment sa mère et l'aut' con;  des vacances en "famille" à la montagne faire du ski, des anniversaires chiants. Même si. Même si, c'est pas si mauvais, dans le fond. Même si.  


Les années qui passent et l'union qui ne fane – décidément- pas. Un enfant qui nait. Un petit frère. Un vrai. Pas l'espèce d'australopithèque bon à manger de la paille qui ne manque jamais une occasion de se foutre de sa gueule. Heureusement, il vit à New York et ne vient parasiter Seattle qu'en de rares ( très très rares) occasions. Une occasion comme la naissance du petit frère miraculé. Entre eux, c'est...dégueulasse. Leurs parents n'en reviennent pas. L'adolescence s'est tirée et sa crise avec, pourtant, eux, ils continuent de s'insupporter. Shiloh. C'est ainsi que se nomme la bête. L'infection purulente qui se déclare toujours avec méchanceté. La sonnette retentit, Amelia se dévoue. Amelia n'aurait pas dû. Connard est de l'autre côté à attendre, avec son look BCBG à deux balles. «  La blonde » qu'il souffle, comme salut. « Le trouduc » qu'elle répond, en insulte. Peut-être que dans le fond, il n'y a pas tant que ça de haine. Pas tant. Même si. Un peu. Pour la forme. Parce qu'ils ont l'impression de ne rien avoir en commun. C'est une gamine incapable qui se croit « trop », d'après les dires de monsieur. C'est un tire-au-flanc qui réussit dans la finance parce qu'ils sont tous comme lui : des sacs à merde sans scrupule. Il la trouve jeune et conne et elle le trouve arrogant et ...à peu près tout. Tout. « Fais comme chez toi » elle lance, disparaissant de l'autre côté du couloir. Minimisant au maximum le contact avec le cabot. Ainsi va la vie. Oui mais, pas trop.

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